Se rendre au contenu

Hérita​ge​

Schéma Trauma I/II


On dit parfois parfois que les traumatismes se transmettent de génération en génération. 

Une famille damnée pour les croyants, et ceux dont je partage le sang sont nombreux. Je le souvenir d’un des nôtres, qui, apprenant ma descente aux enfers n’a pu se retenir de lâcher un « je savais qu’un il y avait quelque chose dans cette famille ». Les tourments se transmettent facilement chez nous, « à l’instar de la délicatesse »: quand bien même nous enterrions un proche, l’idée de faire un tel commentaire en pleine cérémonie d’adieu était manifestement nécessaire.

« Il y en a un peu plus, je vous le laisse quand même, c’est cadeau! »…

Toujours est-il que je n’ai pas hérité que du visage Albaret et des croyances Vaucelle… Mon arrière-grand-père s’est brutalement donné la mort suite à l’effondrement économique du journal dont il était le directeur. La guerre lui avait également laissé des traces indélébiles, le tout a eu raison de lui. Il a eu ce geste dans la pièce voisine d’où se trouvait ma grand-mère maternelle. Elle avait 14 ans. Son cœur s’est brisé une première fois, mais la vie a repris son cours. Que faire de mieux? Sa sœur avait déjà pris son envol depuis des années et malgré l’ampleur du drame, l’argent ne tombe pas du ciel. Il fallait aider sa mère, avec qui elle a dormi jusqu’à son mariage avec mon grand père en 1949. La chaleur et l’amour des siens, ça compte, quand les yeux en ont trop vu.


8 ans au Crédit Lyonnais de Tours avant de se consacrer à temps complet à la vie familiale, qu’elle avait construite avec mon grand-père, directeur de l’Office d’HLM de Tours. La vie était douce aux Prébendes, leur couple heureux avait été chanceux d’avoir connu le choix du roi: Deux enfants, un garçon et une fille. Alain l’aîné, ressemblait à sa mère, quand Christine, ma mère, ressemble à son père.


À 25 ans, Alain s’est donné la mort, ne supportant plus la pression de la crise économique l’ayant amené à licencier de nombreux employés, et certainement pour d’autres raisons que nous ne connaîtrons jamais. Il a laissé derrière lui femme, enfant, famille et entreprise de menuiserie dont il était le directeur administratif et financier. Le choc est intense, mais il faut continuer à vivre, encore. Malgré les jugements de valeurs des uns et des autres. Malgré la stigmatisation des dépressifs, même silencieuse, toujours d’actualité. Malgré le sentiment de culpabilité au fond de tous, chacun à son échelle. Malgré tout. 

Maman s’est plongée dans les études, jusqu’à devenir pharmacien.

Mes grands parents dans les recherches existentielles: Dieu, le monde, l’infiniment grand, l’infiniment petit, la vie, la mort, la vie après la mort,…

Le schéma est simple, deux types de personnalités se dégagent dans l’arbre familial: Les pragmatiques, ceux qui foncent, ils ont mal, mais ils savent s’anesthésier. Ceux-là savent s’intégrer au monde et « rentrer dans le moule ». Les autres sont artistes, écorchés vifs, émotifs et amoureux de l’amour. Ils ont l’air sociable, leur faculté à s’adapter est nettement plus évidente que les autres, mais bien moins gérable en interne. 

Les premiers ont les clés, les seconds ne sont plus là pour en parler, ont passé ou passent encore leur vie sous anxiolytiques et anti-dépresseurs.

Extrêmement sensible et empathique, trop souvent en proie à mes émotions, parfaitement incapables de les gérer et des les exprimer correctement, je sais parfaitement dès l’adolescence que je ne me situe pas « du bon coté ». J’ai eu ma première attaque de panique à l’aube de mes 16 ans, le souvenir est encore vif. 

Sur ce terrain émotionnel déjà bien brinquebalant, je suis arrivée à l’âge adulte avec un niveau de confiance et d’estime de moi-même en négatif. La vie me faisait peur, littéralement. Je n’avais même pas encore mis un pied dans le pédiluve que le plongeon dans le grand bain m’angoissait déjà. Comme si tout cela ne m’impactait pas. Même schéma: il faut cacher, se fondre dans le moule. Adopter la politique « pas de vague ». Je crois vraiment que les gens que j’ai rencontré pendant ces années là ont rencontré une façade, une personne qui n’existe pas, paumée au dernier degré.

Tant et si bien qu’à ma première décompensation émotionnelle en 2012, je ne savais plus qui j’étais. Il était difficile pour moi de définir ce que je faisais réellement pour moi, ce que j’aimais, ce que je n’aimais pas.

Quand on grandit avec l’idée que dans le panel de choix à faire dans la vie, la mort en est un, il est difficile d’apprécier sainement ce drôle de concept qu’est l’existence.